Sévérité de la jurisprudence du Tribunal fédéral

Lorsqu’il s’agit de prendre en compte une carrière d’invalide, le Tribunal fédéral est et reste strict. La plus haute juridiction de Suisse a souligné l’inflexibilité de sa position dans deux arrêts récents.

Une personne victime d’un accident ou d’une maladie est souvent confrontée à une baisse de ses revenus en raison de la réduction de ses capacités. Plus cette perte de revenu liée au handicap est importante, plus le taux d’invalidité est élevé. Dans le système de rentes des assurances sociales, le taux d’invalidité joue un rôle primordial car il détermine le droit à une rente d’invalidité, que ce soit vis-à-vis de l’assurance-­invalidité, de l’assurance-accidents ou de la caisse de pension. En règle générale, plus le taux d’invalidité est élevé, plus le droit à la rente de l’assuré·e est étendu.

Il en découle que ce n’est pas la gravité des séquelles de l’accident ou la gravité des conséquences de la maladie qui détermine le taux d’invalidité et donc le droit à la rente, mais bien plus la perte de revenu que la personne concernée subit à la suite d’un accident ou de la maladie.

En règle générale, plus le taux d’invalidité est élevé, plus le droit à la rente de l’assuré·e est étendu.

Le législateur a ancré ce principe dans l’art. 16 de la LPGA. Cette norme légale définit la méthode de calcul du taux d’invalidité et donc le droit à la rente d’une personne exerçant une activité lucrative. Selon le principe de comparaison, il s’agit d’évaluer en premier lieu le revenu que l’assuré·e aurait pu obtenir sans handicap (appelé revenu sans invalidité), puis de déduire de ce montant le salaire qu’il ou elle est encore en mesure de percevoir malgré son handicap (revenu avec invalidité).

Exemple
Si une personne avait un revenu annuel de CHF 80 000.– avant la survenue d’un handicap et qu’elle ne peut plus gagner que CHF 30 000.– par an en raison des restrictions dues à l’accident ou à la maladie, la personne subit une perte de revenu de CHF 50 000.–. Par rapport au revenu de CHF 80 000.–, la perte de gain représente un taux d’invalidité de 62,5 % (100 x 50 000.– / 80 000.–). 

Il ressort de cet exemple de calcul que le taux d’invalidité, et donc le droit à la rente, augmente lorsque le revenu sans invalidité progresse par rapport au revenu avec invalidité, car la perte de gain déterminante pour le calcul du taux d’invalidité croît.

La carrière d’invalide
En principe, le revenu sans invalidité se calcule sur la base du dernier salaire perçu, adapté le cas échéant au renchérissement et à l’évolution réelle des revenus. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’expérience montre que l’activité exercée jusqu’alors aurait été poursuivie en l’absence d’atteinte à la santé.

De nos jours, alors que de nombreuses personnes actives se perfectionnent continuellement et qu’il n’est plus habituel d’exercer la même profession jusqu’à la retraite, ce principe s’avère problématique, car il exclut de facto une progression positive de la rémunération. 

De détaillant à informaticien

Pendant son apprentissage de gestionnaire du commerce de détail CFC, un jeune a été victime d’un grave accident qui a entraîné une paraplégie complète. Cet accident l’a empêché de poursuivre son apprentissage. Il s’est donc tourné vers l’informatique et a vite réussi dans sa nouvelle profession. Il a été rapidement promu et son salaire n’a cessé d’augmenter. 

L’assurance-accidents a toutefois estimé que le jeune homme serait resté gestionnaire du commerce de détail s’il n’avait pas eu d’accident. Elle a donc calculé son revenu sans invalidité en se basant sur la rémunération d’un gestionnaire du commerce de détail. Elle a ensuite comparé ce salaire de valide à celui d’un informaticien, c’est-à-dire au salaire effectivement perçu par le jeune salarié. La rémunération d’un informaticien étant plus élevée que celle d’un spécialiste du commerce de détail, il n’en résultait quasiment pas de perte de gain et donc pas de taux d’invalidité justifiant une rente. 

Le jeune homme a notamment fait valoir jusqu’au Tribunal fédéral que s’il était en mesure de faire carrière en tant que personne en fauteuil roulant, il le serait a fortiori sans handicap, raison pour laquelle son taux d’invalidité devait être calculé à partir d’un salaire d’informaticien plus élevé, ce qui lui donnerait droit à une rente d’invalidité vis-à-vis de son assurance-accidents.

Des études pour obtenir un bachelor puis un master en soins infirmiers

Le second cas, sur lequel le Tribunal fédéral a statué par un arrêt rendu en février 2024, concernait une jeune femme qui avait d’abord effectué un apprentissage d’assistante en soins et santé communautaire CFC et avait ensuite suivi une formation d’infirmière diplômée ES. Un accident l’ayant rendue tétraplégique incomplète, elle ne pouvait plus exercer sa profession d’infirmière et a dû faire des études pour obtenir un bachelor puis un master en soins infirmiers dans une haute école spécialisée. La jeune femme a ensuite travaillé comme collaboratrice scientifique et comme enseignante dans une école supérieure, puis comme experte en soins. 

Comme dans le cas précédent, le revenu que la jeune femme obtiendrait aujourd’hui sans handicap a été contesté jusqu’au Tribunal fédéral. En appel, elle a fait valoir qu’elle percevrait aujourd’hui au moins la rémunération d’experte en soins et non le salaire plus bas d’une infirmière diplômée. En effet, si elle avait pu suivre avec succès une formation continue et travailler en tant qu’experte en soins malgré les limites de son handicap, elle le pourrait à plus forte raison sans handicap.

Jurisprudence du Tribunal fédéral
Le Tribunal fédéral admet que, lors de la détermination du revenu sans invalidité, il faut tenir compte de l’évolution professionnelle qu’une personne assurée aurait normalement effectuée. Pour cela, il est toutefois nécessaire «qu’il existe des indices concrets permettant de conclure que, sans atteinte à la santé, une progression professionnelle et l’obtention d’un revenu plus élevé auraient effectivement été réalisées». Les indices d’un développement professionnel doivent «en principe exister, même pour les jeunes assuré·e·s, sous forme d’éléments concrets dès la survenance de l’atteinte à la santé».

Dans les deux cas décrits, le Tribunal fédéral a conclu que ni le jeune homme ni la jeune femme ne présentait, au moment de l’accident, d’éléments concrets indiquant une formation continue d’informaticien ou d’experte en soins.