«Scream for me Greenfield!», lance le chanteur métal de Machine Head au public. Un chœur de plusieurs milliers de voix lui répond en hurlant. C’est l’un des 38 groupes à mettre le feu à l’aérodrome d’Interlaken en ce week-end de juin. Chaque jour, plus de 25 000 fans se retrouvent sur ce site. Parmi eux, 13 voyagent avec l’ASP.
Nous passons la nuit à l’auberge de jeunesse d’Interlaken plutôt que de camper comme de nombreux festivaliers. Des milliers de tentes sont installées les unes contre les autres. Et avant d’arriver enfin sur le lieu du concert, nous traversons cette mer de canadiennes et d’igloos. Un bus spécial fait la navette pour nous entre l’auberge de jeunesse et le site. Tard dans la nuit, ou plutôt au petit matin après le dernier concert, tout le monde est heureux de retrouver rapidement la chaleur de sa chambre. Et celles et ceux qui souhaitent faire un break sont ravi·e·s de profiter du service de transport de Sepp qui permet d’aménager sa visite du festival selon ses besoins.
Alors que de nombreux festivals se déroulent dans un champ ou une prairie, la plupart des chemins du Greenfield sont asphaltés. Pratique quand on se déplace en fauteuil roulant. Et nous sommes loin d’être les seul·e·s. L’estrade réservée aux fauteuils roulants est bien remplie et offre une vue imprenable sur la scène principale par-dessus des milliers de têtes. À la tombée de la nuit, des spectacles de lumière et de pyrotechnique élaborés illuminent des visages réjouis. L’ambiance est à la fête, le quotidien est relégué au loin. On est quel jour au fait?
Punk et métal
Le style musical est marqué par des guitares dures. Cela plaît ou hérisse. Il y en a pour tous les goûts. Quand Kraftclub joue, c’est toute l’estrade qui se met à danser. Quand on le peut, on frappe des mains avec Dropkick Murphys, qui mêle folk irlandais et punk, ou on tape en rythme sur l’accoudoir du fauteuil roulant. Quand Prodigy entre en scène, les basses intenses font vibrer tout le corps. Un panneau prévient que l’effet stroboscopique peut déclencher des crises d’épilepsie. Green Day joue ses tubes pendant plus de deux heures. 30 000 personnes chantent avec eux.
Quand les grands groupes se produisent, ça se bouscule, même sur l’estrade. Une rampe permet d’y accéder, mais la pente est très raide. Le service d’ordre, qui veille à ce que seuls les ayants droit passent, aide à les pousser. De temps en temps, d’autres festivaliers viennent leur prêter main forte.
La plupart des gens sont en noir, arborant têtes de mort, rivets pointus, tatouages et piercings. «On pourrait passer des heures à les regarder», déclarent Andrea, la responsable du groupe, et Sarah, une participante. Tout ce qui est féroce est en fait un signe de reconnaissance. Des discussions s’engagent. «Tout le monde est cool», estime Sandro. Et Tito est lui aussi ravi de voir les gens s’écarter quand il pousse sa compagne Hirijet à travers la foule. Et ce, même à une heure tardive, alors que le taux d’alcoolémie atteint des records chez certain·e·s. Le Swiss-Trac de Sandro est fort utile. À la fin du concert, la lueur crue de son phare fend la foule, tel Moïse les eaux de la mer Rouge.
Celles et ceux qui ont besoin d’une pause après tous ces riffs de guitare peuvent se restaurer aux stands de nourriture ou flâner dans le marché. Des tentes invitent à faire la fête jusqu’à l’aube. Même les fans de football ne sont pas en reste: ils peuvent suivre les matches de l’Euro sur des écrans géants. Mais ces sites ne sont pas toujours accessibles en fauteuil roulant. Il faut quelquefois un coup de main pour se hisser sur le podium ou franchir un palier.
En coulisse
Vendredi, nous avons le privilège de jeter un coup d’œil dans les coulisses du festival. Le célèbre chef René Schudel nous accueille dans sa cuisine. Pendant que nous nous régalons de frites et d’escalopes, une cuisine étoilée est servie aux musicien·ne·s et aux VIP. Plusieurs camions sont garés derrière la scène. Chaque groupe apporte sa propre production. La logistique derrière un événement d’une telle envergure nous épate. Nous réclamons en vain des anecdotes sur le backstage des artistes. Apparemment, la vie de rock star n’est pas aussi dissolue que nous l’imaginions. À notre retour sur le lieu du concert, une petite bruine se met à tomber. C’est la seule fois où nous sortons nos imperméables.
«Grandiose», «grave bien», «ouf», «inoubliable». Lorsque je demande leurs impressions aux participant·e·s, les qualificatifs se répètent. Tous sont unanimes: c’était un week-end exceptionnel. Et un autre fait est aussi plusieurs fois souligné: «Voyager avec l’ASP nous a permis de tester l’accessibilité du Greenfield en fauteuil roulant. La prochaine fois, nous oserons nous y aventurer seul·e·s.» Pour Lea, une chose est certaine: «C’était la première, mais pas la dernière fois.»
(Nadja Venetz, Paracontact 3/2024)